Histoire triste, spectacle joyeux
Et j'ai crié Aline
d'après Aline de C.F. Ramuz
par Thierry Romanens et Format A'3
Théâtre du Jorat
Mise en scène: Thierry Romanens et Robert Sandoz
Conception, adaptation et écriture: Thierry Romanens
Interprétation: Thierry Romanens, Alexis Gfeller (piano), Fabien Sevilla (contrebasse), Patrick Dufresne (batterie)
Avec la participation de: Choeur à corps Vevey (direction Claire Benhamou), Les femmes du choeur mixte de Carrouge (direction Gérald Morier-Genoud)
Composition musicale: Thierry Romanens et Format A'3
Scénographie et création costumes: Krystelle Paré
Stagiaire: Juliette Ferranet
Costumière: Tania D'Ambrogio
Création masque: Judith Dubois
Accessoires: Tania D'Ambrogio, Cédric Matthey, Krystelle Paré
Direction musicale: Alexis Gfeller
Son: Bernard Amaudruz
Création lumière: William Fournier
Technique: Estelle Becker
Habilleuse: Justine Chappex
Collaboration artistique: Jérôme Meizoz
Aide production: Nina Vogt
Administration: Marianne Caplan
Communication: Virginie Pasquier
Conception, adaptation et écriture: Thierry Romanens
Interprétation: Thierry Romanens, Alexis Gfeller (piano), Fabien Sevilla (contrebasse), Patrick Dufresne (batterie)
Avec la participation de: Choeur à corps Vevey (direction Claire Benhamou), Les femmes du choeur mixte de Carrouge (direction Gérald Morier-Genoud)
Composition musicale: Thierry Romanens et Format A'3
Scénographie et création costumes: Krystelle Paré
Stagiaire: Juliette Ferranet
Costumière: Tania D'Ambrogio
Création masque: Judith Dubois
Accessoires: Tania D'Ambrogio, Cédric Matthey, Krystelle Paré
Direction musicale: Alexis Gfeller
Son: Bernard Amaudruz
Création lumière: William Fournier
Technique: Estelle Becker
Habilleuse: Justine Chappex
Collaboration artistique: Jérôme Meizoz
Aide production: Nina Vogt
Administration: Marianne Caplan
Communication: Virginie Pasquier
Sur la scène, la charpente en bois d'une maison, où semble flotter une fenêtre. Les façades, séparées comme si la maison avait été démantelée pour qu'on puisse en voir la vie intérieure. À l'arrière-scène, une toile blanche qui changera de couleur à plusieurs reprises durant la représentation. Sous la charpente, un piano droit et une petite table. À cour, une souche d'où partent de longs fils disposés parallèlement, montant jusqu'au plafond (ou jusqu'au ciel, diront les rêveuses). Entrent les trois musiciens du groupe Format A'3: Alexis Gfeller au piano, Fabien Sevilla à la contrebasse et Patrick Dufresne à la batterie. Ils commencent à jouer puis entre en scène Thierry Romanens, le visage dissimulé sous un immense masque de taupe. Il commentera son entrée dans la foulée en ces termes (je cite de mémoire): une fois que t'es entré sur scène dans un costume de taupe, tu peux tout te permettre.
Si je m'arrête sur cette dernière réplique, c'est justement parce qu'elle illustre, d'une certaine façon, l'effet que me procure Thierry Romanens sur scène, à savoir qu'il pourrait effectivement tout se permettre et je serais quand même de son côté.
Il est délicat, d'un point de vue critique (surtout si on a des ambitions matérialistes) de parler du charme naturel d'un artiste sur scène. D'abord parce que le terme naturel ne veut plus dire grand chose et que le charme est quelque chose de bien trop intangible pour être le sujet d'une analyse. Toutefois, je considère que ce serait aussi me voiler la face que ne pas admettre que Thierry Romanens occupe une place particulière sur la scène romande et que son empreinte populaire indéniable est due, selon moi, à ce quelque chose qu'il dégage, d'une grande générosité, et que, faute de mieux, je vais appeler son charme.
Et ce charme participe à l'appréciation du spectacle Et j'ai crié Aline, adapté du tout premier romand de C.F. Ramuz, publié pour la première fois en 1905. Car, en plus du travail riche et rigoureux des musiciens du Format A'3, qui maintiennent un fil musical tendu jusqu'à la fin, Thierry Romanens a le talent des grands conteurs. Je sais que le talent est un mot qui fait parfois peur, ou qui dérange, et qu'on préfère utiliser le mot travail (un mot de plus en plus présent dans le monde des arts, et pas toujours sous couvert des meilleures intentions, mais j'y reviendra certainement une autre fois). Il est clair que des heures de travail, il y en a eu, pour pouvoir atteindre une précision rythmique qui paraisse aussi organique de l'extérieur. Mais à mi-parcours, alors que j'écoutais Thierry Romanens nous dire les mots de Ramuz, et leur donner une couleur et une vibration qui me faisaient redécouvrir ce roman une nouvelle fois, je me suis senti obligée d'admettre qu'il y a des choses qui nous dépassent et que je peux bien analyser tout ce que je veux, je ne sais pas comment Thierry Romanens arrive à faire ce qu'il fait.
Il y a une grande joie qui se dégage de Et j'ai crié Aline, et ceci même si nous sommes face à une histoire d'une tristesse infinie. L'histoire d'une jeune femme prénommée Aline, tombée enceinte à une époque et dans un lieu où elle ne rencontrera que rejet et insultes, et qui finira tragiquement par se pendre, après avoir étouffé son nouveau-né. C'est un récit dont le contenu final est sombre, comme souvent chez Ramuz, mais, comme je l'ai esquissé dans mon précédent article, tout récit sombre qu'il soit, Aline est avant tout d'une grande force esthétique et, paradoxalement, cela peut aussi apporter énormément de joie. Cependant, tout grand auteur que soit Ramuz, il est toujours plombant de tomber dans la sacralisation d'un texte et c'est justement là une des forces de la proposition de Thierry Romanens, accompagné dans la mise en scène par Robert Sandoz: le texte est mis en avant mais il reste un élément avec lequel on peut s'amuser. Parfois, les interprètes s'amusent de passages qu'ils n'ont pas compris, ou alors relèvent les incohérences de certaines descriptions. Sacraliser un texte, au fond, c'est s'ôter la possibilité de le comprendre. Et par leur jeu, les écarts qu'ils s'accordent, les commentaires taquins qu'ils émettent, Thierry Romanens et les musiciens du Format A'3 accomplissent ce qu'on serait en droit d'attendre de tout grand conteur: la réappropriation du récit qu'ils racontent. En bref, ils me font aimer et accepter ce que je vois.
Oui, il y a parfois des choix de mise en scène qui ne me convainquent pas trop, ou des coupes dans le texte que je trouve presque dommages (le récit de la mort de l'enfant, par exemple, au risque de paraître morbide, mais je peux comprendre ce choix), ou l'omniprésence un peu trop constante de la musique, mais toutes ces choses finissent par devenir des détails car, encore une fois, il y a derrière la création de Et j'ai crié Aline un désir perceptible de partage qui est populaire, lumineux et communicatif. Ce partage prend même une forme visible avec l'apparition magnifique des chœurs de femmes venus chanter certaines parties de la voix d'Aline. Et quand est survenu le final, alors qu'Alexis Gfeller jouait au piano la suite de notes reconnaissable de la chanson de Christophe, et qu'au moment du fameux refrain le public a chanté Aline, et qu'en réponse Thierry Romanens a tendu la couverture du livre de Ramuz, juste avant que la salle ne soit plongée dans le noir, je suis obligée de dire ce que j'ai ressenti: j'ai été impressionnée. Et au réaction des personnes assises à mes côtés, je crois ne pas être la seule.
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