Un monde de tendresse, de couleurs et d'eau

 



Bleu comme une orange

Théâtre du Galpon, Genève, du 27 avril au 7 mai 2023
Théâtre de l'Oriental, Vevey, du 12 au 14 mai 2023


Conception:  Sarah Waelchli, en collaboration avec les interprètes
Interprétation: Arnaud Mathey, Pauline Raineri, Luc Müller, Margaux Monetti, Sarah Waelchli
Dramaturgie et costumes: Marie Romanens
Scénographie: Mathilde Aubineau
Sondier: Marcin de Morsier
Lumières: Jonas Bernath
Administration: Elizabeth Waelchli et Louis Amado
Photos: Elisa Murcia Artengo




Des corps entrent dans la semi-pénombre, avançant ensemble, s'aidant, se guidant, comme des aveugles. Les yeux fermés, le visage maquillé, ils semblent évoluer en se répondant, entrelacés sans jamais se perdre. Parfois, l'un ou l'une d'entre eux lâche un son, un embryon de phrase et enfin, un autre son, plus sec, vient perturber la lenteur douce de cette entrée: une bille roule sur le plateau en damier et se cogne contre le mur.

Cette première bille, suivie par d'autres, jetées à intervalles irréguliers provoque un changement brutal dans la perception de l'espace qui s'était installé. Tout d'abord, la proximité de ces corps et les changements de lumières progressifs nous emmenaient dans un temps ralenti, comme si étions entrés dans un monde d'eaux profondes et d'obscurité. Et puis soudain, cette première bille cognant contre le mur nous rappelle que nous sommes dans un théâtre, qu'il y a des murs et non pas l'infini autour de nous, et que la gravité reste une réalité.

Les danseur.euses disparaissent ensuite lentement derrières de grands panneaux noirs recouverts de tulle, sauf une, restée en arrière, comme repoussée par les autres. Elle sera ensuite relayée par une autre danseuse, venue prendre sa place sur le damier. À ce stade de la représentation s'installe une légère monotonie: les passages dansés en solo se terminent et un autre solo vient prendre le relais. Mon œil de spectatrice commence à percevoir une dramaturgie mise à l'œuvre, quelque peu téléphonée, et déjà ma surprise est atténuée. Je regrette un peu à cet instant que les transitions entre ces parties dansées en solo ne soient pas plus subtiles, que l'une ne reste pas un peu plus longtemps en présence de l'autre. 
Cela peut sembler un détail mais il suffit parfois d'un détail comme celui-là pour vous faire momentanément oublier la structure d'un spectacle et vous ramener à l'essence de l'expérience que peut vous faire vivre une représentation.

Une batterie se fait entendre progressivement depuis le fond de la salle, et le musicien apparaît bientôt à travers la tulle, doucement éclairé d'en haut. Les deux danseuses du début reviennent sur le plateau de damier, dansant l'une derrière l'autre, comme si la première, au visage masqué, était devenue l'ombre de la deuxième. Puis, elles disparaissent derrière les panneaux noirs et s'ouvre alors aux yeux du public un monde nouveau, un monde fait de créatures magiques, de bruits d'eaux, de percussions et de mots bégayés.

Des appareils tournant en boucle, illuminés par des projecteurs disposés sur les côtés, font alors vibrer les murs de leurs ailes de couleurs. Toute la subtilité douce de la scénographie de Mathilde Aubineau se déploie dès cet instant, et c'est pour moi là que le spectacle se révèle réellement. Dès ce premier passage derrière la tulle et les jeux de lumières et de corps masqués qui s'animent, le spectacle de Sarah Waelchli et de ses interprètes s'organise autour d'un seul et même élan organique. Dès lors, tout semble juste et à sa place. Et les nouvelles incursions sur le plateau de damier (jusqu'au grand final, où tous les danseur.euses s'aspergent d'eau et glissent ensemble sur le plateau) se délestent de toutes les questions encombrantes que j'avais amassées lors de la première partie. Tout redevient enfin le jeu que j'avais cru percevoir dans les premières mesures de la pénombre et que j'appelais probablement du fond de mon corps.

C'est toujours un grand plaisir pour moi quand le théâtre ou la danse redeviennent avant tout une affaire de sensations et de questions chaleureuses laissées sans réponse. Pour autant, bien sûr, qu'on soit face à des questions qui agrandissent le monde, plutôt que ne le réduisent. Et pour moi, le spectacle de Sarah Waelchli élargit mon rapport à ce monde, qu'il soit orange ou bleu. Et je lui en suis reconnaissante.

À voir encore à l'Oriental de Vevey cette semaine !  






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