À l'écoute des autres


 

L'embarras du choix

cie des plaisantes 

8 au 18 juin 2023, Théâtricul, Chêne-Bourg


écriture et jeu: Wave Bonardi et Julia Portier
Mise en scène: Charlotte Riondel
Création lumière: Danielle Milovic
Régie: Matthieu Juilland


L'air est encore assez frais lorsqu'on monte les gradins du Théâtricul, petite salle de Chêne-Bourg, dissimulée à côté d'une cour intérieure où de grands arbres abritent du soleil. La salle est comble et agitée. Soudain, une porte s'ouvre sur le côté et on peut voir entrer, depuis l'extérieur du théâtre, un grand canapé porté par Julia Portier et Wave Bonardi, les deux comédiennes et autrices de ce spectacle.

Elles l'installent à l'arrière scène, sur un praticable, après discussion sur le meilleur endroit où le placer, puis se tiennent debout, dos au public, comme prêtes à commencer. Et enfin, Wave Bonardi claque les fesses de Julia Portier (ou était-ce l'inverse ?), une musique se lance et c'est le début de L'embarras du choix.

Mise en scène par Charlotte Riondel, écrite et interprétée par Wave Bonardi et Julia Portier, la pièce est une suite de courtes scènes, dont la thématique centrale est la question du bonheur, et plus particulièrement les diverses méthodes ou thérapies pour atteindre quelque chose qui s'apparente à du bonheur. Certaines scènes sont construites simplement comme un dialogue, telle la scène où deux sœurs se retrouvent chez l'une tandis que l'autre parle continuellement et l'écrase de ses angoisses. D'autres scènes s'éloignent du dialogue plus conventionnel et se rapprochent de l'écriture d'un Maeterlinck (en plus drôle), comme cette scène dans le noir où les deux interprètes jouent avec des lampes de poches et dialoguent sur la peur. D'autres passages entrent carrément dans la comédie musicale, ou le cabaret loufoque, où Wave et Julia se mettent soudainement à danser et à chanter. En bref, un spectacle riche et tenu par un sens du rythme très bien géré. 

L'exercice du spectacle à sketchs, comme du film à sketchs, est un toujours un exercice risqué car il peut vite lasser et ne devenir qu'une succession de scènes inégales. Chez la compagnie des plaisantes, au contraire, les enchaînements sont réellement maîtrisés et les différentes scènes se suivent de façon organique et surprennent à chaque fois. On en vient même à attendre la prochaine avec impatience et quand le noir se fait sur la fin du spectacle, on est un peu tristes de voir Wave et Julia nous quitter, ce qui est un sentiment rare et qui est la marque de grandes interprètes. 

Car Julia Portier et Wave Bonardi sont de grandes interprètes, en plus d'être de grandes autrices. Elles parviennent à rendre vivantes chaque parole qu'elles nous livrent et à nous dérouter dans nos attentes. Que ce soit à travers le grain de leur voix, leur phrasé propre à chacune, leur gestion du rythme, elles parviennent à toucher au cœur de ce qu'elles racontent et déclenchent de nombreux rires sincères chez le public. Réussir à faire rire quelqu'un, de manière spontanée et organique, sans chercher à titiller en premier lieu l'intellect d'une personne, est très certainement l'un des exercices les plus difficiles qui soit sur une scène. Et Julia Portier et Wave Bonardi ont un talent indéniable pour cela. Je pourrais décortiquer leur façon de le faire pendant des heures, mais je pense que quelque chose m'échappera toujours. Et personnellement, cela me rassure de constater que, face au talent (quand bien même il est toujours soutenu par un immense travail), les mots finissent toujours par manquer. 

J'ai dit que Wave Bonardi et Julia Portier sont aussi de grandes autrices et je le pense vraiment. Certains passages m'ont évoqué le meilleur des textes d'un François Rollin ou d'un Devos, et d'autres passages sont d'une grand finesse et d'une grande limpidité, sans tomber dans aucun élan de simplification. Exemplairement, la scène de l'appel radio (l'une des plus belles scènes du spectacle), où une auditrice parle de son rapport avec Dieu, et dont elle dira: je n'aime pas l'homme en Dieu. Elles réussissent donc à s'emparer de questionnements profonds, qu'ils soient d'aujourd'hui ou de la nuit des temps, et à en faire une véritable matière théâtrale, où les choses n'ont pas de réponse toute faite et où le doute est permis. Elles nous laissent ainsi libres de terminer le spectacle avec elles, ce qui, encore une fois, est la marque d'un immense talent (et aussi d'une certaine sagesse). 

J'ai dit plus haut que les mots me manquaient pour dire à quel point la compagnie des plaisantes a réalisé un beau spectacle. Je dirais néanmoins ceci, pour ne pas finir sur un aveu d'incompétence: si leur duo fonctionne aussi bien sur scène, j'avancerais que c'est notamment grâce à leur grande qualité d'écoute. 

Cela fait un certain temps que je me dis que ce qui caractérise une grande comédienne ou un grand comédien, ce n'est pas tant sa capacité de "dire bien" un texte (pour ce que cela signifie), mais plutôt sa capacité à écouter les présences qui l'entourent. Et par leur écoute sensible, généreuse et active (c'est d'ailleurs l'une des plus belles choses à voir au monde, quelqu'un qui écoute), Julia Portier et Wave Bonardi ont largement prouvé au Théâtricul qu'elles faisaient partie des grandes. 

Lorsque les applaudissements finissent par s'éteindre, la chaleur est devenue étouffante. Mais le théâtre, lui, respire jusqu' au fond de la cour.  


L'embarras du choix est à voir au Théâtricul jusqu'au 18 juin 2023.


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