1. Interview avec Clara Delorme

 

Malgrés



Idée, chorégraphie et interprétation : Clara Delorme 
Collaboration artistique et interprétation: Christian Garcia-Gaucher 
Construction scénographie: Grégory Gaulis 
Création lumière: Alain Vitaloni 
Conception prothèses: Nagi Gianni 
Regard extérieur: Nicole Seiler, Yan Duyvendak 
Responsable d’administration et de production: Gaëlle Marc 
Comptabilité: Laurence Rochat 
Diffusion: Martin Genton 
Photographie: Cynthia Mai Ammann




La première chose qui m'a frappé, à la découverte de votre pièce, c'est l'extrême précision dont vous faites preuve. Bien sûr, cela peut sonner comme une évidence dans une discipline comme la danse, seulement je remarque que, dans votre cas, les gestes les plus simples semblent être dessinés avec un soin particulier, tout en dégageant une certaine légèreté. Pourriez-vous m'en dire plus sur ce soin que vous apportez ? En fait, j'avais parfois la sensation que votre travail chorégraphique était le fruit d'un travail patient, miniature, et concentré, plutôt que le fruit d'un large défrichage. Est-ce que je me trompe ?

Non, vous ne vous trompez pas. C'est vrai qu'en général je suis attentive aux détails. C'est même assez important pour moi, je dois dire. Et comme je ne sais jamais comment commencer, et bien je commence toujours par là où j'en suis. Vu que je n'ai pas d'idées préétablies, c'est par les petits mouvements que ça commence, par ce qui est là, à la base. Du coup, je me rends attentive à ça, à cette minutie. Par rapport à la patience que vous mentionnez... En réalité, je suis assez impatiente. Je travaille à partir d'improvisations, que je répète tout de suite. Comme j'arrive à me souvenir plus ou moins de ce que j'ai fait juste avant en improvisant, et bien je refais tout de suite pareil, et ça construit cette précision, je crois. Parce que du coup je retraverse à chaque fois la même séquence, sans forcément chercher de nouvelles choses.

Est-ce que vous seriez d'accord d'expliquer de façon un peu plus précise comment cela s'est passé lors de la création de vos spectacles ?

Je commence toujours par la couleur. Ensuite la matière, la texture. Dans Malgrés, par exemple, c'était de la moquette sur scène. J'ai donc d'abord fait construire la scénographie pour ensuite pouvoir me placer dedans. Je commence par faire des plans, je choisis les matériaux, tout ça. Puis, une fois que j'ai tout, je vais en studio, je me mets sur la scénographie et j'essaie de trouver en bougeant. En fait, c'est simplement comme ça que ça se construit. 
Pour ce qui est du fond fondamental de la pièce, cela part plutôt d'une incapacité à créer. Pour mon premier solo, qui s'appelle L'albâtre, j'avais vraiment pas d'idées, mais vraiment rien du tout. Alors du coup je suis passé par le syndrome de la page blanche. Et c'est ce blanc qui a donné vie au spectacle. Pour Malgrés, j'avais toujours pas d'idées mais comme j'avais déjà fait le syndrome de la page blanche, j'allais pas le refaire. Du coup, j'ai cherché plein, plein d'idées, et tout me semblait nul, mauvais, ou ne m'intéressait pas vraiment. Alors j'ai raturé, j'ai gribouillé, barré, tout ça. Puis, c'est devenu l'idée d'une suite de tentatives qui se soldent en échecs, lesquels ne sont pas forcément très graves, au contraire. Ils sont parfois même un peu attendrissants. Et donc c'est comme ça que c'est devenu Malgrés avec un s. Et donc cette attention aux petites choses s'est encore plus développée, même si je dirais que ça fait partie de mon corps en général et pas seulement de cette pièce. Mais ça a été renforcé.

C'est donc bien le détail qui nous amène vers l'idée générale, plutôt que l'inverse ?

Je dirais que c'est à double direction parce que cela fait partie de moi. Cette attention aux détails était déjà là dans ma précédente pièce mais ici elle est devenue assez consciente.

Oui, je trouve d'ailleurs qu'il se dégage de Malgrés un humour du détail à la Jacques Tati. Est-ce que vous vous reconnaissez dans cette référence?

Oui, et je trouve ça assez marrant parce que c'est une référence qu'on me ressort de temps en temps, même hors du contexte de mon travail. Je pense que cela vient de mon côté décalage. Je crois que je me reconnais assez bien là-dedans. En tout cas, j'adore cet univers donc cela me fait plaisir d'y être associé.

J'ai aussi perçu dans votre pièce un univers féerique qui rappelle celui de la littérature de fantasy. Est-ce que c'est quelque chose de conscient ?

On m'a déjà fait des retours à ce sujet. Évidemment que les oreilles et le vert, ça amène tout de suite un côté fantastique, du type contes et merveilles, leprechauns, gnomes, etc. Et il y a effectivement un lien dans ma pièce avec ces petits êtres, ni méchants, ni gentils, qui ne sont pas tout à fait humains et qui n'ont pas forcément de grand pouvoir. En tout cas, c'est cet aspect-là de la fantasy auquel j'ai pensé et auquel je me suis rattaché. Mais mon personnage de référence pour Malgrés, c'est Monsieur Merdeun personnage du film Holy Motors, de Leos Carax, interprété par Denis Lavant. Un personnage qui est humain mais marginal, sorti d'une bouche d'égout dans un cimetière, qui mange des fleurs, qui effraie les gens et qui enlève une femme pour l'emmener dans sa grotte. C'était une assez grande inspiration. C'est comme ça que j'ai trouvé mon personnage en tout cas, un être un peu à côté dont on ne connait pas vraiment les intentions.

Et qu'est-ce qui vous pousse à continuer de danser ?

Ben pour commencer, je dirais déjà mon âge. J'ai 26 ans et je me vois pas encore arrêter de danser, même si j'y pense parce que j'ai d'autres envies. J'ai encore l'envie de danser en tout cas. Je ne me sens pas encore préparée à autre chose parce que je n'ai pas encore vécu toutes les expériences que j'ai envie de vivre comme danseuse. J'ai envie de faire d'autres projets, de danser avec des gens, de faire des collaborations. Je me projette pas dans une carrière longue mais pour l'instant j'ai encore envie de danser.

Une question peut-être un peu naïve mais j'ai quand même envie de vous la poser: qu'est-ce que la danse pour vous ?

Comment dire... C'est un endroit où la singularité est possible. Et sans explications. Oui, je crois que le fait que cela puisse se faire sans explications, ça me va bien. Enfin, ça me plaît bien. C'est une alternative à tout ce qui pourrait être plus défini.

Pensez-vous qu'il soit possible de danser hors de son corps, et si c'est le cas, seriez-vous à même de voir quand cette limite est franchie ?

Pour moi, il est tout à fait possible de danser hors de son corps. C'est un peu comme quand on marche. La plupart du temps, on le fait sans que ce soit conscientisé. Dans le cadre de la danse, si je connais très bien la chorégraphie de certains spectacles, des fois ça m'arrive de les jouer un peu hors de mon corps. Et ça peut être agréable mais c'est pas forcément quelque chose que j'aime. Disons que ça m'est arrivé, malgré moi, dans des moments où je n'ai pas réussi à me mettre dedans. Donc oui, c'est possible et ça peut être intéressant, même si personnellement je me dis qu'il faut l'éviter. Enfin, disons que danser hors de son corps peut être intéressant dans un projet en particulier mais je n'ai pas l'impression que cela m'apporte quelque chose à titre personnel, hormis peut-être dans un processus de création. En tant que créatrice, c'est une manière d'être dehors en faisant en même temps. Cela me permet de penser une pièce, puis de revenir en arrière et de me remettre à l'intérieur. Sinon, lors de l'interprétation devant un public, si je sens que je suis en train de sortir, je me focalise sur une petite partie, plutôt que sur l'ensemble, parce que c'est assez difficile de sentir l'entièreté. Alors qu'en vrai, il y a aussi les strates: l'enveloppe, les muscles, les os, le cœur. Bref, beaucoup de choses possibles. Et en général, chez moi, ça passe de l'un à l'autre.

Avez-vous des projets en cours ou à venir ? Et comment voyez-vous les prochaines années ?

Là, je me réjouis beaucoup d'un projet où je serai interprète pour Nicole Seiler, fin septembre à l'Arsenic. Ensuite, je ferai un spectacle avec Claire Dessimoz et Louis Bonard. On créera ensemble, à trois, pour le mois de décembre. Et sinon j'ai démarré mon troisième chromosome, L'externat et le foyer (titre provisoire)la prochaine création avec ma compagnie, qui sera une pièce bleue. Ce sera au Théâtre Sévelin, là où je fais toutes mes créations. 

Tout à l'heure vous mentionniez des envies qui se situeraient hors de la danse. Vous pensez donc déjà à une éventuelle reconversion ?

Oui c'est ça. En fait, dans la danse, nous pensons toutes et tous à la reconversion. Avant de découvrir la danse, à mes 18 ans, j'étudiais à la fac de médecine en France. Et c'est vrai que des fois j'y repense. Et comme mon bac français n'est pas valide en Suisse, ça pose aussi des questions de territorialité. Sinon, oui, le domaine du social ou de la santé sont des domaines dans lesquels je peux me situer. Mais c'est vrai que des fois je pense aussi à être prof de maths ! Donc dans tous les cas le social, la santé ou l'éducation sont des voies qui me parlent. Mais je n'ai pas fait de choix gravé dans le marbre.

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